Un abus d’égalité de la part d’un associé qui empêche une opération essentielle pour la société

Le fait, pour un associé à parts égales, d’empêcher, par son vote négatif, une opération essentielle pour la société dans l’unique dessein de favoriser ses intérêts au détriment de l’autre associé constitue un abus d’égalité.

Constitue un abus d’égalité commis dans le cadre du vote d’une décision collective le fait, pour un associé à parts égales, d’empêcher, par son vote négatif, une opération essentielle pour la société dans l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l’autre associé.

Ce principe vient d’être énoncé pour la première fois par la Cour de cassation dans l’affaire suivante. Une société par actions simplifiée (SAS) constituée par deux entreprises de transport qui en détenaient chacune la moitié du capital avait conclu avec un fabricant un contrat par lequel celui-ci confiait à la SAS la coordination du transport de ses produits. Avant l’échéance du contrat, le fabricant avait informé la SAS qu’il entendait remettre en cause leurs relations contractuelles et avait demandé à cette société de lui proposer une offre de contrat transitoire. Au cours d’une assemblée générale de la SAS appelée à se prononcer sur une résolution relative à cette offre de contrat, l’un des associés, qui faisait partie d’un groupe de transport concurrent ayant finalement obtenu le marché de la gestion des transports de marchandises du fabricant, avait voté contre la résolution, empêchant ainsi son adoption. La SAS avait fait valoir que ce vote négatif constituait un abus d’égalité lui ayant causé un préjudice et en avait demandé réparation à l’associé.

Une cour d’appel avait rejeté cette demande en retenant que les deux associés fondateurs avaient entendu soumettre l’ensemble de leurs décisions à la règle de l’unanimité, ce qui avait pour conséquence que l’un comme l’autre avait accepté l’hypothèse d’une mésentente conduisant à un blocage du fonctionnement de la société, voire à la disparition de la volonté de s’associer (affectio societatis).

La Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel au motif que ces considérations tirées de la règle de l’unanimité étaient impropres à exclure l’existence d’un abus d’égalité.

À noter

Un abus de minorité est commis, on le rappelle, lorsque, par son attitude (selon le cas : refus de participer à la prise de décision, vote négatif ou abstention), un associé minoritaire empêche la réalisation d’une opération essentielle pour la société dans l’unique dessein de favoriser ses intérêts, au détriment des autres associés (jurisprudence constante). Par l’arrêt ci-dessus, la Cour de cassation applique ces critères à l’abus d’égalité, qui n’est qu’une variante de l’abus de minorité et qui répond donc à la même qualification que celui-ci.

En l’espèce, les considérations que la cour d’appel avait tirées de la nécessité d’adopter les décisions collectives à l’unanimité, compte tenu de la composition égalitaire du capital de la SAS, étaient étrangères aux critères de qualification de l’abus d’égalité (empêchement par un associé d’une opération essentielle pour la société dans l’unique dessein de favoriser les intérêts de l’associé concerné au détriment de l’autre) et ne permettaient donc pas d’en écarter l’existence. L’associé récalcitrant avait bien un intérêt (en l’occurrence, indirect) à ce que la SAS ne propose pas d’offre de contrat transitoire au fabricant puisqu’il appartenait au groupe de transport concurrent qui avait négocié et obtenu le marché de la gestion des transports de marchandises dudit fabricant.

Notons toutefois que le fait pour un associé minoritaire (ou égalitaire) d’avoir des raisons personnelles de s’opposer au vote d’une résolution ne suffit pas à caractériser l’existence d’un abus de minorité (ou d’égalité) si l’attitude de l’associé est par ailleurs justifiée par des motifs légitimes puisés dans l’intérêt de la société (CA Paris 23-11-2001 no 01-3506).

Dans cette affaire, la SAS reprochait également à l’associé ayant voté contre la résolution litigieuse de ne pas l’avoir informée des négociations menées avec le fabricant par le groupe concurrent auquel appartenait cet associé. La Cour de cassation a écarté ce reproche en affirmant que, sauf stipulation contraire, l’associé d’une SAS n’est, en cette qualité, tenu ni de s’abstenir d’exercer une activité concurrente de celle de la société ni d’informer celle-ci d’une telle activité et doit seulement s’abstenir d’actes de concurrence déloyale.

À noter

Confirmation d’une jurisprudence énoncée pour l’associé de SAS (Cass. com. 10-9-2013 no 12-23.888) et pour l’associé de SARL, (Cass. com. 15-11-2011 no 10-15.049 ; Cass. com. 19-3-2013 no 12-41.407), qui vaut pour toutes les sociétés commerciales. À notre avis, deux tempéraments doivent néanmoins être apportés au principe et un associé doit s’abstenir de concurrencer la société :

  • s’il fait un apport en industrie car il doit alors à la société tous les gains réalisés dans l’industrie qui est l’objet de cette société et ne pourrait donc exercer une autre activité que si les statuts l’y autorisaient ;
  • s’il a apporté un fonds de commerce car, comme tout vendeur de fonds, il doit garantir la société de toute éviction de son propre fait.

Cass. com. 21-6-2023 n° 21-23.298

© Lefebvre Dalloz

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